Bombe à carbone

L’Amazonie, le poumon vert de la planète ? Ce n’est pas une évidence. La déforestation, le plus grave danger la menaçant ? Ce n’est rien à coté de ce qui pourrait se passer. Les forêts tropicales humides, un système climatique stable ? Rien n’est moins sûr. Aujourd’hui, laissons donc de coté la faune et la photographie, pour changer un peu notre vision de cet écosystème fragile. Quitte à être pessimiste.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, je tiens à signaler que les réflexions qui vont suivre ne sortent pas de mon imagination débordante, ou d’une envie soudaine de faire du catastrophisme à tout prix. Mis à part quelques recherches personnelles (études scientifiques, relevés météos, etc.), la plupart des théories qui suivent ont déjà été exposées par Fred Pearce, journaliste scientifique américain spécialiste du climat, notamment dans son livre Points de rupture. Une plongée particulièrement bien documentée dans les méandres des systèmes climatiques, qui ne laisse pas indifférent. Une lecture que je ne saurais que trop vous conseiller donc… Ceci étant dit, voici en substance le scenario catastrophe qui pourrait toucher la région du globe la plus fourmillante de vie.

« L’Amazonie est le poumon de la planète », vous dirons les écologistes convaincus. « Les forêts tropicales humides relâchent bien plus de dioxyde de carbone que les hommes ne pourront jamais émettre », rétorqueront les sceptiques du réchauffement climatique. Alors, qui a raison ? Comme souvent en sciences, la réalité est loin d’être aussi tranchée. En climatologie, ce ne sont pas tant les quantités de carbone qui sont émises ou absorbées qui comptent, mais bien l’équilibre total qui en résulte. Ainsi, si les forêts absorbent le jour des quantités astronomiques de dioxyde de carbone via la photosynthèse, elles relâchent aussi en permanence ce gaz par un procédé de respiration. Mais ce qui compte au final, c’est bien le bilan de ces échanges. Pour les forêts tropicales, on considère que le couple puit/source de carbone est à l’équilibre, voir légèrement en faveur du stockage de CO2. Ainsi, même si les quantités émises par l’Homme peuvent paraître infimes dans le grand cycle du carbone, c’est le « petit plus » qui fera pencher la balance du mauvais coté qui risque d’avoir des conséquences désastreuses. Notamment pour la forêt amazonienne.

Nombre de scientifiques estimaient que la forêt tropicale humide était un système climatique relativement stable, à l’instar des glaces du Groenland. Et comme pour le Groenland, certaines études récentes tendent à bouleverser cette vision tranquille. Dan Nepstad est ainsi de ceux qui craignent le pire pour l’avenir de l’Amazonie. Spécialiste en écologie forestière, ce scientifique travaille sur le terrain depuis plus de 20 ans, où il mène des recherches grandeur nature pour le moins étonnantes. En 2001, il a ainsi entièrement recouvert un hectare de forêt de panneaux en plastiques, laissant passer le soleil, mais pas la pluie. Après quelques années passées à étudier les conséquences de cette sécheresse ininterrompue, les résultats sont sans appels. Deux ans. La forêt peut subir ce traitement pendant deux années seulement. Au-delà de ce seuil, les arbres dépérissent, cessant alors de capter le CO2 atmosphérique mais relarguant aussi en mourant une quantité énorme de carbone. Ainsi, dés la troisième année, la parcelle mourante ne stockait déjà plus que deux tonnes de carbone, contre sept pour la parcelle témoin.

Ainsi, il faudrait imaginer la forêt amazonienne, non pas comme un poumon vert, mais bien comme une bombe à carbone prête à exploser. Au total, l’Amazonie stocke 70 milliards de tonnes de CO2 dans ses forêts, soit l’équivalent de 20 années d’émissions humaines de dioxyde de carbone. Si quoi que ce soit arrivait à cette jungle, ce serait un immense désastre écologique, mais aussi climatique. Et la déforestation dans tout ça ? « L’équivalent d’un stade de football part en fumée chaque seconde », entend-on souvent. L’image est parlante bien sûr, mais n’expose pas totalement la complexité du problème. Plus que les arbres détruits, c’est surtout la méthode de brulis qui cause le plus de torts à la forêt, avec  200 millions de tonnes de CO2 relâchées dans l’atmosphère chaque année. De plus, conséquence dramatique de cette déforestation, les savanes ainsi formées absorbent l’eau de pluie. Il faut savoir qu’en forêt tropicale, la moitié des gouttes de pluie ne toucheront jamais le sol, et s’évaporerons pour former une autre averse un peu plus loin. Sans ces arbres, la pluie s’arrête donc à la première clairière artificielle et cesse d’arroser la forêt environnante, créant ainsi une vague de sécheresse sur tout le continent.

Certains diront que nous en sommes encore loin, la déforestation n’étant qu’un petit grignotage de cette forêt immense. Oui, mais le réchauffement climatique est aussi de la partie. Avec des températures de plus en plus élevées au niveau de l’océan atlantique, une complexe réaction en chaine climatique réduit les précipitations sur l’Amérique du sud. Retournons donc en Guyane, analyser les relevés météorologiques en ligne sur le site de Météo France. Alors que la grande saison des pluies qui arrose la Guyane a normalement lieu d’avril à juillet, on note que le mois d’avril dernier est resté dans la petite saison sèche. En mai, ce sont des records de beau temps qui se succèdent, avec un déficit en pluie de 57%. Ce déficit atteindra 16% le mois suivant, où la pluie arrive timidement. Elle ne se fera pas plus présente en juillet, où les températures seront bien au dessus de la normale. C’est ainsi en arrivant au début de la saison sèche en aout, que les guyanais constatèrent que 2009 n’aura quasiment pas vu de réelle saison des pluies. Problème, ce fut aussi le cas en 2005.

Mais alors, que ce passera t’il si des sécheresses répétées touchent ainsi l’Amazonie ? Passé le seuil décrit par Dan Nepstad, la forêt risque de ne pas s’en remettre. De gigantesques incendies risqueraient de s’étendre dans une des régions habituellement des plus humides du globe, dans une réaction en chaîne catastrophique que Dan Nepstad appelle la « savanisation » de l’Amazonie. Selon une étude du centre Hadley pour les prévisions et la recherche sur le climat, « la région ne sera plus capable d’abriter que des buissons, des herbes sèches, et rien d’autre ». En plus du désastre pour la biodiversité et pour cet écosystème unique, le climat connaitrait une perturbation encore jamais observée, avec des quantités énormes de CO2 émises dans un laps de temps très court. Si actuellement l’Amazonie stocke 70 milliards de tonnes de carbone, selon certaines études, ce chiffre devrait tomber à 40 milliards en 2050, puis à 15 milliards à la fin du siècle.

Mais toi lecteur, lisant ces lignes derrière ton écran dans ton studio parisien, quelle conséquence sur ton quotidien ? C’est dommage pour le jaguar, le chasseur amérindien ou encore la petite fourmi atta, pourrait-on se dire, mais cela ne nous touche pas directement en Europe. Pas si sûr… En plus du fait qu’aucun scientifique ne peut prévoir les conséquences d’un tel relargage de carbone dans l’atmosphère, il semble que l’Amazonie ait aussi un rôle à jouer dans nos climats tempérés. En effet, on estime que prés de 3 000 milliards de tonnes d’eau s’évaporant de la forêt tropicale quittent l’Amazonie pour arroser les régions alentours. Vers l’ouest jusqu’aux Andes, au sud vers l’argentine, et à l’est jusqu’en Afrique du sud ! De plus, ces immenses mouvements d’eau jouent un rôle primordial dans certains mécanismes climatiques complexes touchant tout l’hémisphère nord. Ainsi, de nombreux climatologues supposent que la dessiccation de l’Amazonie entrainerait un assèchement de l’Europe.

Cependant, aucun scientifique ne peut énoncer avec certitude les conséquences exactes d’un tel scenario catastrophe, ni dire dans quelles mesures celui-ci pourrait se produire. Mais l’opinion publique et les politiques devraient prendre de toute urgence au sérieux la protection de cet immense territoire. Malheureusement, comme nous le verrons demain, ni les dirigeants, ni les médias n’assument ce rôle pour la Guyane.

Yann

4 Comments

  1. Marion 8 octobre 2009

    Terrifiant …

  2. Audrey 8 octobre 2009

    Le coup du lecteur dans son petit studio parisien cible un public particulier dis donc…
    Nous sommes tous concernés mais je pense qu’au-delà du fait que la pensée générale soit « ça ne nous touche pas directement » c’est plutôt un « comment faire? » qui se pose.
    Franchement, nous sommes de plus en plus à nous intéresser à ce type de problématique, sans bien savoir que faire à notre échelle… Alors, ok, les politiques et les industries surtout doivent se bouger mais nous, Mr et Mme Lambda, que fait-on?

  3. Yann 9 octobre 2009

    Réduire sa consommation de viande (grosse source de CO2), proscrire les espèces de poissons menacées, surveiller les produits contenant de l’huile de palme, arréter le Mac Do (qui déforeste l’amazonie pour le soja nourrissant ses poulets), privilégier les produits locaux plutot que ceux ayant déjà fait 10 fois le tour de la planète, préférer les transports en communs, manifester, soutenir des associations, voter…. la liste des choses que nous pouvons faire à notre niveau est longue et bien connue. Mais pour les jeunes journalistes que nous sommes (vous vous reconnaitrez!), nous avons entre nos mains un immense pouvoir : celui d’informer, d’alerter, de faire prendre conscience de certains risques pour la planete à un grand nombre (ou pas :p) de personnes.
    A ce propos, j’ai un petit cadeau surprise pour vous dans le post de demain, où on a un bon exemple de ce qu’il ne faut PAS faire en journalisme! Mais chuuuut, je crois que j’ai bossé chez eux il y a peu….

  4. Audrey 9 octobre 2009

    Plutôt d’accord sur le rôle du journaliste ! Et, bon sang, il y en a bien besoin d’informer les gens car tout que tu cites au dessus, la plupart des gens n’en ont pas conscience…

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