Gardien
Fourmi à identifier…
En Guyane, il n’y a pas que les marches en forêt et les séances photo : on peut aussi faire des sorties culturelles ! Sans toutefois s’interdire de photographier quelques rencontres faites sur le chemin… Nous nous sommes donc rendus dans un endroit révélateur de tout un pan de l’histoire du département, mais, malheureusement, aussi de la gestion actuelle de la Guyane : un ancien bagne.
Un peu d’Histoire pour commencer. Pendant le 19ème et 20ème siècle, la Guyane a servi de gigantesque prison pour tous ceux que la France ne voulait plus voir. Un grand territoire hostile et peu peuplé, où des dizaines de prisons, bagnes ou camp pénitentiaires furent construits, souvent par les bagnards eux même. Ce fut le cas du Camp pénitentiaire spécial de crique anguille, plus connu sous le nom de Bagne des Annamites, que nous sommes allés « visiter » en pleine forêt. Créé en 1931, il accueillit des centaines de prisonniers indochinois venant pour la plupart de la région de l’Annam (d’où le nom du bagne), au niveau de l’actuel Vietnam. L’Annam est alors une colonie française et ce sont des opposants au régime qui sont envoyés croupir dans les cachots guyanais. Au bagne des Annamites, 535 d’entre eux se virent ainsi débarqués dans une région encore recouverte de forêt vierge. Ces condamnés furent donc contraint de construire leur propre prison, ouvrir des pistes dans la jungle, puis commencèrent à installer une voie de chemin de fer. De nombreux prisonniers y laissèrent leur vie, quelques autres s’installèrent à Cayenne après la fermeture du bagne en 1945, sans aucun moyen de sortir du pays.
Après quelques heures de route, nous voici donc cherchant l’entrée du sentier menant à ce lieu chargé d’histoire. Nous tombons sur une petite allée longeant une propriété, qui se transforme vite en un sentier s’enfonçant dans la forêt. Car cette « sortie culturelle » n’avait pas comme seul but de visiter ce bagne : il faut une petite heure de marche dans la forêt pour y accéder, permettant ainsi quelques séances photos. Oiseaux en tous genres ou tamarins, il y a toujours de quoi faire. C’est aussi sur ce sentier que nous avons rencontré plusieurs fourmis. Les fameuses Attas, dont je vous ai raconté l’histoire il y a peu, mais aussi ces énormes fourmis à l’honneur aujourd’hui, gardant un œil sur leurs minuscules congénères.
Nous faisions ce chemin avec le père d’Anaïs qui, ayant déjà visité le lieu il y a une quinzaine d’années, semblait en garder un très bon souvenir. Une grande clairière entourant les cachots, des wagonnets laissés à l’abandon sur leurs rails, les traces des anciens bâtiments en bois, révélés par les fondations en béton ou en briques. Le tout bien indiqué par de nombreuses pancartes renseignant sur la fonction de tel bâtiment, les conditions de vie, les prisonniers, tout ceci dans un cadre relativement bien aménagé.
Au bout d’une petite heure de marche sur un sentier qui semble peu entretenu (les arbres tombés sur le chemin ne sont pas coupés), quelque chose semble soudain changer dans la végétation. Les gros troncs sont d’un coup plus rares et la lumière alors plus présente. Nous buttons presque sur une pancarte illisible tombée à terre et bientôt totalement recouverte par la végétation. Nous avons du mal à y croire, mais nous sommes bien au fameux bagne des Annamites. Quelques buissons laissent entrevoir des restes de wagonnet, et nous apercevons plus loin quelques mètres de rails surgissant de terre. Seuls les toilettes semblent avoir tenu le coup, mais pour combien de temps encore ? La plupart des pancartes sont à terre, seul indice qu’ici, il y a quelques années, se trouvaient encore de nombreux baraquements. Effarés, surtout le père d’Anaïs qui avait connu le bagne sous un bien meilleur jour, nous nous dirigeons vers ce qui semble le quartier des condamnés. Ici aussi, les bâtiments en bois ont disparu, laissant la place à une jungle luxuriante. Mais pour un bagne, il était évident que les cachots, bien plus solides, tiendraient un peu mieux le coup face aux assauts du temps. C’est ainsi qu’au détour d’un ersatz de sentier apparait une allée ensoleillée, bordée par deux rangées de sinistres blocs de béton. Au milieu d’une végétation dense traversant ces vestiges du passé, quelques dizaines de cachots émergent de la forêt. Drôle de sensation lorsque l’on voit ce contraste presque surréaliste…
Même en ruine et traversés par quelques branches, ces rangées de cachots laissent encore bien deviner l’enfer qu’ont du vivre ces prisonniers. Des cellules de la taille d’un cercueil, où il n’y avait même pas la place pour un lit. Ce dernier était ainsi replié contre le mur quand le prisonnier ne dormait pas. Le pire de tout sans doute : il n’y avait aucun plafond, les cellules étant à ciel ouvert. Seuls quelques rails de métal empêchaient l’occupant de s’échapper, facilitant la surveillance par les gardiens. Ainsi, on ose à peine imaginer le calvaire des condamnés en plein soleil tropical toute la journée, mais surtout l’enfer de la saison des pluies sans aucun abri de jour comme de nuit. Si pour nous l’Amazonie est un paradis sur Terre, on comprend déjà mieux pourquoi, dans ces conditions, certains l’ont surnommé « l’enfer vert ». Il faut aussi savoir que les gardiens (pendant longtemps ce furent des tirailleurs sénégalais) étaient envoyés dans ce type de camp comme une punition, ceux-ci se défoulant alors régulièrement sur les prisonniers. Ces bagnes isolés étaient donc considérés comme les pires de la Guyane. En 1937, les condamnés de ce camp entamèrent même une grève de la faim pour protester contre ces violences, qui se solda par la mort de plusieurs prisonniers.
Personnellement, avant d’entrer dans ce lieu pesant et d’écrire cet article, je n’avais aucune idée de l’enfer qu’avait pu infliger la France à ces opposants au colonialisme, il y a quelques dizaines d’années seulement. Alors devons nous oublier les passages sombres de notre Histoire, ou justement essayer de restaurer les vestiges de ce passé ? Une chose est sûre, sans ce bagne, je ne me serais peut-être jamais penché sur le sujet. Et si en 15 ans ce lieu a quasiment disparu, il est évident que personne ne pourra bientôt plus s’imprégner de son histoire comme nous l’avons fait. Et pourtant, il semblerait que ce délabrement est uniquement du à une histoire de subventions, comme souvent en Guyane. Il y a quelques années, des financements ont permit d’installer quelques pancartes et d’entretenir une clairière autour du camp. Puis un jour, ces subventions n’ont pas été renouvelées, et tout fut laissé à l’abandon. Pourtant, il ne suffisait que de quelques coups de machette, ou simplement remplacer une pancarte de temps en temps. Alors, pourquoi l’état ne fait-il rien ? Les mauvaises langues diront peut-être qu’il ne souhaite pas revenir sur les heures sombres de son histoire. Personnellement, je pense juste qu’il s’en fiche royalement. Et c’est ainsi qu’un tel lieu retourne peu à peu dans l’oubli.
Dans l’oubli ? Théoriquement, non ! Au cours de mes recherches, je suis tombé sur un rapport datant de 2004, sur le site du ministère de l’écologie et du développement durable. Celui-ci annonce fièrement que le bagne des Annamites vient d’être classé « Espace réglementé Nature et Paysage ». Autrement dit, un patrimoine naturel et culturel à protéger et entretenir… Dans un cynisme écœurant, le rapport signale même que « ce site reste un des derniers témoignages de la déportation des détenus politiques indochinois. […] Sa protection et sa conservation étaient donc indispensables. »
No comment.
Yann
Si ce sujet t’intéresse Yann (et les autres), je t’avais déjà conseillé le livre d’Albert Londres « Au Bagne ». Un bijou de littérature et de journalisme et surtout un témoignage poignant des conditions de détention des bagnards (et de leurs tentatives d’évasion). Parce que non seulement envoyer des gens là-bas était d’une cruauté sans nom mais aussi parce que très peu retournaient en métropole ensuite. Leur peine devenait presque systématiquement une peine à perpétuité, par le jeu des ajouts de peine (suite aux brimades, punitions et tentatives d’évasion) et des années qu’ils doivent ensuite à l’état (construction de bagne et de routes entre autres) et qu’ils passent dans le désœuvrement et la misère… Edifiant !
Si j’ai bien compris le système, c’est qu’une fois leur peine terminée, les bagnards devaient séjourner le même nombre d’années en Guyane sans pouvoir sortir du pays. Une vrai double peine quoi.
Voilà, c’est exactement ça … autant dire perpèt… Au fait avec tt ça je n’ai pas encore dit que je trouve ta photo du jour superbe Anaïs !! Quelle différence de taille !!
Effectivement c’est une référence biblio sur le sujet…
Merci, Marion, pour le compliment. C’est vrai que la différence entre la taille des fourmis est impressionnante, mais celle des yeux par rapport au reste de la tête l’est aussi…
[…] par la végétation. Je passerai sur le cas du bagne des Annamites, que j’ai déjà évoqué il y a peu. Bref, pour que le patrimoine naturel et culturel guyanais puisse attirer les touristes friands de […]
[…] par la végétation. Je passerai sur le cas du bagne des Annamites, que j’ai déjà évoqué il y a peu. Bref, pour que le patrimoine naturel et culturel guyanais puisse attirer les touristes friands de […]