Goutte d’or

Je dressais hier un tableau bien noir sur l’avenir de l’Amazonie. Pour éviter le pire, il faudrait absolument que les dirigeants et l’opinion publique prennent les mesures qui s’imposent pour protéger cet écosystème fragile. Mais pour la Guyane, nous sommes actuellement bien loin du compte, entre gestion calamiteuse et déforestation encouragée.

Je vous parlais il y a quelques temps du problème de la chasse en Guyane : une gestion inexistante, un retard énorme de la réglementation par rapport aux pays voisins, des lois absurdes, etc. Au niveau de la déforestation, le constat est encore pire. Quand on parle avec des guyanais inquiets pour l’avenir de leur région, on tombe de haut tant le problème est inconnu en métropole. Mais si l’on souhaite en savoir un peu plus, on s’enferme vite dans un capharnaüm administratif. En effet, la Guyane est Française, donc aussi européenne, et en même temps une région et un département. Ainsi, la gestion des forêts et de l’agriculture est opérée à la fois par le conseil général de Guyane, le conseil régional, la préfecture de Guyane, les lois gouvernementales, l’ONF, etc. Difficile donc de s’y retrouver, empêtré dans une multitude de sigles ou d’acronymes (CPER, ASP, DocUP, CDOA, DJA et autres CNASEA). Mais après quelques heures à trier les informations, on commence juste à comprendre à quel point la gestion de la forêt guyanaise est proprement ahurissante.

Le mot d’ordre en Guyane, c’est la « valorisation du territoire ». Sous ce terme assez vague se cache un constat simple : la forêt vierge, ça ne rapporte rien. Tout ce qui peut être rentable à la place est le bienvenu, et en premier plan, l’agriculture. On tombe ainsi sur ce genre de document, qui passerait pour une bonne blague si celui-ci n’émanait pas du conseil général de la Guyane. En substance, le texte propose une aide financière pour tout agriculteur souhaitant raser quelques hectares de forêt pour y planter des bananes ou ananas. Le tout subventionné à hauteur de 25% par la région et 75% par l’état ou l’Europe. Vous avez bien lu, vos impôts subventionnent en partie la déforestation de l’Amazonie. Encore plus effarant, la fiche de demande de ces subventions tient en… une page.

Avant cela, il faudra bien entendu acheter les terrains. Ici aussi, rien de plus simple. De nombreux petits agriculteurs guyanais utilisaient depuis des années des parcelles de forêt sans aucun titre foncier, ce qui n’était pas pour plaire à l’Etat, l’ensemble du territoire forestier lui appartenant. Mais sans rien lui rapporter. Tout est ainsi mis en œuvre (comme expliqué dans ce document) pour vendre ou louer ces terres aux agriculteurs. Pour les petits producteurs, des cessions gratuites sont même proposées. Résumons. Vous êtes un agriculteur vivant en métropole qui lutte pour racheter une exploitation. Vous partez donc en Guyane, achetez aisément un bout de forêt primaire à l’Etat, une petite fiche de renseignement où vous indiquez combien d’hectares vous souhaitez raser, et les bulldozers payés en partie par le contribuable débarquent pour déforester un bout d’Amazonie. Si vivait à cette endroit une espèce animale sensible ou gravement menacée, tant pis pour elle. Pas d’enquête de terrain, pas d’études d’impact.

Mais, après tout me direz-vous, ces subventions permettent tout de même de créer des emplois, de favoriser un secteur agricole. Dans ce document officiel, il est ainsi dit clairement que ces aides sont « un accompagnement en vue de la modernisation et de la structuration de la filière pour accéder de manière pérenne aux marchés antillais et métropolitain ». Mais voilà, avez-vous déjà vu dans un supermarché métropolitain des bananes, ananas, fruits de la passion et autre noix de coco provenant de Guyane ? Non. Par contre, avec des territoires bien plus réduits, les produits agricoles des proches Guadeloupe et Martinique sont bien présents. Alors, quel est le problème avec la Guyane ? Pour comprendre où cela cloche, il faut continuer l’enquête sur le terrain. Notamment à Cacao.

Petit village Hmong perdu au milieu de la jungle, Cacao est bien connu pour son marché local, mais aussi pour la piste à flanc de montagne qui y mène, proposant de superbes points de vue sur la forêt à perte de vue. Mais à certains endroits, ce n’est plus la jungle qui s’offre en spectacle, mais des hectares entiers de champs de bananiers ou d’orangers morcelant la forêt. En s’approchant un peu plus prés, on est vite étonné par l’aspect de ces plantations. Des fruits pourrissant sur l’arbre, des allées non entretenues, des mauvaises herbes envahissant tout… Il semble tout simplement que ces parcelles soient laissées à l’abandon. L’explication de ce mystère m’a été donné par plusieurs guyanais : l’état offre aux agriculteurs, notamment aux jeunes avec la DJA (Dotation aux Jeunes Agriculteurs), de nombreuses subventions pour « mettre en valeur le territoire », c’est-à-dire faire de nombreuses plantations. Mais voilà, ces aides financières sont suffisamment élevées pour que l’on ne se donne pas la peine de ramasser et commercialiser ces fruits. Les aides étant données à la plantation et non à la récolte, ce petit manège perdure aux yeux de tous.

Les subventions, voilà véritablement le coupable de la situation actuelle. Comprenez moi bien, je ne pars pas en croisade contre les aides financières qui sont évidemment une excellent chose pour une région qui s’enfonce dans le chômage. Non, ce qui est à condamner, c’est le manque de contrôle total sur l’utilisation de cet argent. Si on ne peut pas dire que les guyanais roulent sur l’or, une chose frappe pourtant en se promenant dans les rues de Cayenne ou d’ailleurs : tout le monde roule dans des 4×4 flambants neufs. Si cela est utile pour les paysans travaillant au bout d’une piste perdue au beau milieu de la jungle, on comprend moins la nécessité pour la grande majorité des guyanais vivant dans les zones urbaines du littoral. Là aussi, tout est affaire de subvention. D’importantes aides financières sont ainsi attribuées pour des véhicules utilitaires. Une fois le 4×4 acheté, il ne reste plus qu’à remettre en place la banquette arrière… Ainsi, on peut changer de voiture régulièrement à moindre frais, mais aussi acheter des quads et autres véhicules censés favoriser le développement de la région. Si vous souhaitez acheter une parcelle de forêt pour y interdire la chasse et préserver les espèces y vivant, on vous le refusera catégoriquement. Par contre, dites que vous y planterez du cacao, on vous apportera même un soutien financier.

Il y a ainsi de l’argent en Guyane, mais gaspillé en une multitude de subventions souvent incontrôlées. Mieux géré, cet argent pourrait par exemple servir à offrir du personnel compétant à l’ONF, structure quasi-inactive à l’heure actuelle (utilisant ses financements pour construire un absurde observatoire ornithologique, cf. un précédent post) ; ou encore préserver le patrimoine culturel et naturel si riche de la Guyane, notamment en favorisant l’écotourisme. Sur son site, le Conseil Général de Guyane se targue d’assumer une « responsabilité particulière en matière d’environnement », notamment en gérant le jardin botanique de Cayenne ou le sentier du Rorota (sentier de randonné à proximité de zones urbaines)… Pour la promotion touristique, il encense de même les chutes Voltaire ou la montagne Favard avec ses roches gravées amérindiennes. Le premier lieu est situé à 70 kilomètres de la première ville, accessible par une piste quasi-impraticable. Le deuxième est plus accessible, mais nous avons passé une demi-heure à trouver notre chemin tant le sentier est effacé par la végétation. Je passerai sur le cas du bagne des Annamites, que j’ai déjà évoqué il y a peu. Bref, pour que le patrimoine naturel et culturel guyanais puisse attirer les touristes friands de nature, il y a encore du chemin.

La gestion des financements est donc tout simplement calamiteuse, participant pour ne rien arranger à une déforestation inutile. Alors que la France donne des leçons d’écologie aux autres pays, met en place un grenelle de l’environnement ou des « journées de la mer », le seul territoire européen d’Amérique du sud est tout simplement laissé à l’abandon, alors que le travail le plus essentiel en matière d’environnement se situe sûrement ici. Nous sommes bien en retard sur les pays voisins auxquels nous donnons des leçons. Pourquoi y a-t-il autant d’orpailleurs brésiliens polluant la Guyane ? Il y a pourtant de l’or aussi au Brésil. Sauf que ce dernier se donne les moyens de poursuivre les contrevenants. Au Brésil toujours, prélevez une orchidée sauvage ou un insecte, vous risquez la prison. En Guyane, vous pourrez prendre l’avion avec les bagages remplis, même prélevés dans une réserve naturelle. La Guyane, territoire sous perfusion financière, devrait être alors pointée du doigt par l’opinion publique comme une véritable honte de gestion pour la France. Mais pour cela, encore faudrait-il que les médias en métropole s’intéressent un tant soit peu à cette région lointaine, pour alerter les consciences et faire bouger indirectement les choses.

Malheureusement, quand entendons nous parler de la Guyane ? Une petite brève à chaque lancement de fusée (c’est d’ailleurs l’unique intérêt financier de la Guyane à l’heure actuelle), un sujet quand le président Sarkozy s’y déplace, un reportage accrocheur sur deux touristes perdus dans la jungle (entretenant par la même occasion tous les clichés sur une Guyane sauvage et dangereuse), et surtout toute une ribambelle de reportages chocs sur les quelques missions militaires contre l’orpaillage clandestin (du sang et des armes dans la jungle à l’écran, mais bien peu de résultats sur le terrain). Mais je suis mauvaise langue. Hier soir, en allumant ma télé, je tombe sur le 20 heures de TF1, qui parlait de la Guyane. Quelques secondes seulement pour annoncer un référendum sur le statut de la Martinique et de la Guyane, le tout illustré par une carte montrant la localisation des deux départements. Mais voilà, le territoire nommé Guyane sur la carte est en réalité la République Coopérative du Guyana, un pays deux fois plus vaste situé à prés de 500 kilomètres de la Guyane. Si la plus importante chaine de télévision française est incapable de situer ce département sur une carte, on se dit qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire avant que la métropole ne s’intéresse un tant soit peu aux problèmes guyanais. Pas sûr que la forêt amazonienne puisse attendre d’ici là.

Yann

11 Comments

  1. Yann 9 octobre 2009

    J’en profite aussi pour dire que j’ai transmis l’image que j’ai capturé du JT au site « Arrêt sur Images » (excellente émission anciennement sur France 5). Image qu’ils ont reprise immédiatement sur leur site ( http://www.arretsurimages.net/vite.php?id=5747 ), nous faisant un peu de pub au passage. Merci à eux!

  2. Eve 9 octobre 2009

    Je n’étais pas du tout au courant de tout ça, et trouve ça assez révoltant. Il est certain qu’on ne peut pas mettre tous les sujets polémiques et importants en priorité absolue, mais laisser un tel brouhaha dans la gestion d’un pays qui représente une richesse culturelle et naturelle aussi débordante que la Guyane, c’est tout simplement révoltant. J’imagine que quand la forêt aura complètement disparu de ce territoire, on blâmera le gouvernement localen oubliant notre responsabilité.

  3. Marion 9 octobre 2009

    Alors là, bien joué pour le coup de « Arrêt sur image » ! J’avais en effet remarqué une partie de ce dont tu parles pour un article sur l’orpaillage avec Sonia.

  4. Marine 9 octobre 2009

    C’est parfaitement résumé, malheureusement…
    Et les Guyanais voudraient pouvoir jouir de l’ensemble du territoire, sans contrôle de l’ONF… C’est l’un des mots d’ordre des « indépendantistes »…
    Faire du profit.

  5. Audrey 9 octobre 2009

    Je ne m’en remets pas du « coup de TF1 », en fait je ne veux pas y croire… C’est tout simplement fou d’être aussi con…
    Concernant la Guyane, je savais déjà des choses mais pas que c’était à ce point… Le coût des subventions pour les cultures, ça me fait clairement penser à un « on ne s’occupe pas de vous mais on vous donne du pognon, fermez-la ». C’est triste d’abandonner un tel territoire.

  6. Yann 9 octobre 2009

    perso, je pense que le problème (pas seulement en France, mais partout dans le monde) est que nos dirigeants n’ont toujours pas compris que l’on ne pouvait pas préserver la planète en raisonnant sur un modèle purement économique. Que nous devons à l’heure actuelle tenter de protéger des choses qui ne rapportent rien (financièrement bien sur), donc donner aussi une « valeur » non-financière aux choses. Tout ceci est résumé en une phrase par un proverbe amérindien :

    « Quand l’Homme aura abattu le dernier arbre, péché le dernier poisson, pollué la dernière rivière, peut-être se rendra-t-il compte que l’argent ne se mange pas ».

  7. Anaïs La Crêpe 9 octobre 2009

    Bon dsl ça n’a rien à voir dans la discution mais décidément j’adore tes photos de Guyane on sent une profondeur et une force qui émane c’est sincèrement magnifique. Tu as là tes meilleurs photos, parler de la nature décidément ça te va bien !! A qd une expo ?? 😀

  8. Nisnis 9 octobre 2009

    Merci beaucoup ma belle…. Venant de toi cela me va droit au cœur…
    Une expo, le rêve…. Peut être deviendra-t-il un jour réalité…

  9. Marion 10 octobre 2009

    Je dis ça, je dis rien, mais Judith a une galerie dans le 14ème …

  10. Nisnis 10 octobre 2009

    Un lieu c’est bien un financement c’est mieux…. Mais patience, je vais m’y mettre…. 😀

  11. […] de la photographie proposée par Anaïs (des noms créoles à la chasse, en passant par la gestion politique de la Guyane). Pour les prochains articles, je vous proposerais donc de revenir à l’essentiel, […]

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