Tout doucement
Aï (Bradypus tridactylus)
Il ne faut pas me lancer sur certains sujets. Quand il s’agit de parler de petites bêtes étranges (et qui ne ressemblent pas à grand-chose), je ne me fais pas prier. Et tant pis si aujourd’hui on ne parle pas beaucoup de photo (fallait pas me laisser carte blanche pour les textes, surtout quand je les écris après une nuit blanche).
Pour ne pas trop me faire taper sur les doigts par ma rédac-chef-photographe-bloggeuse-compagne, quelques mots sur la photo du jour tout de même. Nous étions donc partis une journée vers le village de Rémire-Montjoly (pour les tortues Luth, mais on en reparlera dans un prochain post), et en attendant la nuit nous voilà en route sur le sentier du Rorota. Il s’agit d’une boucle de six kilomètres longeant pour une partie le littoral (offrant de superbes points de vue par endroits). C’est un bout de forêt au milieu de zones urbaines, donc pas question ici de croiser un jaguar. Par contre, le sentier est réputé pour ses paresseux. Sur le premier kilomètre, nous avons ainsi pu en voir six ou sept. Des mâles (reconnaissables grâce à leur marque orange sur le dos), mais aussi une femelle avec son petit. Parlons maintenant de la photo : prise au 500 millimètres, légèrement surexposée à cause du contre-jour filtrant à travers le feuillage.
Voilà pour le commentaire de la photo. Ca, c’est fait. Maintenant, parlons enfin un peu de la bête!
Dans le grand classement des erreurs de la Nature, cette espèce fait sans hésiter partie du peloton de tête (en même temps, avoir comme plus proches cousins le tatou et le fourmilier, ça n’aide pas au départ). D’un point de vue anatomique, les six espèces de paresseux existantes font déjà bande à part. Alors que tous les mammifères possèdent sept vertèbres cervicales, du cheval au campagnol en passant même par la girafe, les paresseux à trois griffes (le fameux « aï », pour les amateurs de mots croisés) en possèdent neuf, et les paresseux à deux griffes (le « Unau », pour les amateurs de jeux de cartes) en ont 6. Cela permet à leur cou de pivoter de 270 degrés, pouvant donc observer tout autour d’eux sans avoir à bouger leur corps.
Ceci nous amène à la caractéristique la plus connue de cette petite bête. N’y allons pas par quatre chemins : le paresseux est une feignasse. Pour illustrer cela, je vous propose ici une vidéo d’un paresseux particulièrement excédé d’être pris en photo par Anaïs, et qui s’enfuit donc à une vitesse fulgurante digne du plus intense épisode de Derrick (désolé pour la vidéo, ça tremble et c’est loin, mais c’est fait avec un appareil compact et sans trépied !). En réalité, leur métabolisme est deux fois plus lent que les autres mammifères, avec une température interne de moins de 30 degrés. Pour économiser encore plus son énergie (si l’on peut dire), le paresseux ne fait ses besoins qu’une fois par semaine, descendant alors de son arbre. Il passe donc le reste de sa semaine à ingurgiter une quantité impressionnante de feuilles (qu’il mettra un bon mois à digérer) et à dormir une bonne dizaine d’heures par jour. Dernière particularité anatomique, il bénéficie aussi d’un système de blocage de ses articulations, lui permettant de rester accroché avec ses griffes sans faire aucun effort musculaire.
Car c’est bien dans cette position, la tête en bas, qu’il passe le plus clair de son temps. Son pelage s’est ainsi adapté à ce mode de vie : alors que chez les autres mammifères, les poils sont généralement orientés du dos vers les flancs (si vous n’êtes pas convaincus, jetez un coup d’œil sur votre chat-chien-hamster-lapin-poisson rouge), c’est l’inverse chez le paresseux. Ainsi, l’eau peut ruisseler sur son pelage épais lorsqu’il se tient accroché à sa branche. Pelage épais qui lui permet aussi accessoirement de servir de maison d’hôte pour toutes les petites bestioles de la forêt : cyanobactéries, algues (lui donnant parfois des teintes vertes facilitant son camouflage), acariens, et des centaines de coléoptères et papillons (notons que même avec tout cela sur le dos, le paresseux garde toujours le sourire).
Il y aurait encore beaucoup à dire sur cet animal hors du commun, mais arrêtons nous là. En conclusion, je dirais deux choses. D’une part, l’Amazonie, plus qu’aucune autre région du globe, regorge d’espèces de ce type, plus étranges les unes que les autres. D’autre part, il faut éviter d’écrire un long texte après une nuit blanche.
Yann
J’aime presque plus la photo de la maman avec son petit. Dommage qu’on ne voit pas le museau ou l’oeil de l’un ou l’autre, sinon elle aurait été parfaite. La photo principale est très bien aussi mais plus « classique ». La vidéo, très bien pr se rendre compte qd on n’en a jamais vu. On dirait un personnage de Tim Burton !! Pour le texte, très documenté, chapeau Yann. Seul regret, je m’attendais au jeu de mot « ne pas confondre l’aï avec l’aye-aye »… hum, moi non plus je n’ai pas bcp dormi !
Pour la photo du petit, cela a été une grande discussion avec Anaïs pour savoir si cette photo méritait d’être publiée ou non. C’est sûr qu’il s’agit d’une jolie photo, mais elle est déjà recadrée car le sujet était assez loin de nous, même au 500 mm. Et ainsi recadrée, on peut voir que la photo est légèrement floue et assez pixelisée. Bref, Anaïs a jugé que la qualité n’était pas suffisante pour être publiée en post.
Sinon, effectivement Marion, il ne faut pas confondre l’Aï et l’Aye-Aye. Il ne faut pas non plus confondre un paresseux endormi et l’Aï-au-lit. Voilà voilà… (si on me cherche, on me trouve :p)
Je n’ai qu’un mot à dire : bravo ! Et pour Yann atchik archik atchik, aï aye-aye !!!
Effectivement, chapeau pour le commentaire Yann ^^